02 novembre 2008

L'alternance repose

Il y a deux ans pile, l'une de mes formatrices glissait dans la conversation une petite phrase qui m'avais bien fait sourire sur le moment.
"L'alternance d'activité repose l'enfant, comme l'adulte, pour moi, la vaisselle me repose du repassage."
Je ne suis pas une fée du logis, j'ai horreur du repassage, presque autant que de la vaisselle, cette phrase avait donc glissé sur moi, comme une boutade.
Depuis que mes filles sont instruites à la maison, j'ai pris l'habitude de noter toutes les activités qu'elles choisissent et le temps qu'elles y passent, la concentration qu'elles y trouvent.
En regardant de plus près tout ça, je me suis rendu compte que non seulement je portais un regard bien sévère sur ma grande, mais que cette phrase lâchée presque de manière insignifiante avait bien plus de sens que je ne lui en avais accordé...


Si je me penche sur mes notes, je me rends compte qu'elle commence pratiquement toujours sa journée ou sa demi journée par une activité "toute bête" de vie pratique. Comme je suis une maman soucieuse de ce que sa grande (et aussi sa petite) fille apprenne des choses sérieuses comme le calcul ou le langage, ça m'agace toujours un peu, j'ai l'impression que ma grande puce, qui a tant besoin de lenteur, de temps, de rêverie choisit souvent la facilité...
Et puis je lis la suite, je consulte mes notes sur plusieurs jours, je vérifie.... L'alternance me saute aux yeux et la petite phrase d'un coup fait un bruit de bombe!
Si j'aiguille ma grande sur du calcul, du langage sans lui laisser le temps de choisir, elle passe peu de temps sur son activité, n'y trouve pas la concentration et passe aussi vite que possible à autre chose, me convainquant un peu plus au passage qu'elle choisit la facilité.
Si je la laisse faire, elle prend le plus souvent une activité "facile" de vie pratique le plus souvent avec une jubilation lisible, puis elle se concentre dessus et rien n'existe plus pour elle.
Quand elle en sort, elle papillonne un moment puis le plus souvent vient me trouver pour que je fasse le banquier de la banque de perles, que je lui montre les différentes graphies d'un nouveau son, prend la boite du serpent de perles, ou son cahier de calligraphie et se met au travail...


Encore une de ces théories de la pédagogie Montessori dont j'étais bien persuadée intellectuellement parlant, sans arriver à la vivre, et que ma grande m'a permis de réaliser, juste parce qu'elle, elle la vit...
Au delà de reposer, l'alternance d'activité prépare, comme si dans l'activité facile à mes yeux d'adulte elle trouvait l'état d'esprit qui lui est nécessaire pour aborder le matériel de mathématique ou de langage.
L'instruction en famille révèle des professeurs qui ne sont pas toujours ceux qui pensent enseigner...

Opération vide grenier

Septembre par chez nous fleurit tous les week end d'un vide grenier nouveau. Dans l'un d'entre eux, j'ai trouvé un jeu pour 2 euros qui ouvre à ma grande une petite porte dérobée vers la calligraphie, elle qui n'a pas trouvé dans le matériel Montessori "classique" la possibilité de rentrer dans ce domaine (à moins que ce soit moi qui n'ai pas su le lui présenter, d'ailleurs...).



J'apprécie dans ce matériel tout simple le fait que ce soit au crayon et non avec des feutres effaçables comme bien des jeux de calligraphie actuels que l'enfant appréhende les exercices de pré graphie.
La difficulté mesurée de ce matériel lui laisse suffisamment de place pour s'adapter à la difficulté, pour la surmonter avec autant de tâtonnements et d'erreurs qu'il lui en faudra pour apprendre.
Apprendre est un processus qui nécessite une part d'erreur incontournable, quand on ne fait plus d'erreurs, on a fini d'apprendre. Comment exiger de nos enfants qu'ils ne passent pas par ce passage nécessaire et capital?

Je trouve dommage que l'on cherche systématiquement à faciliter le travail de l'enfant, dans un premier temps, puis à ce qu'il arrive d'un coup de baguette magique à faire des choses difficiles qui exigent un vrai apprentissage.
Pourquoi serait-ce dans la simplicité que l'enfant s'épanouirait et apprendrait? Comment d'un coup saurait-il faire ce qu'on lui a prémâché depuis des années?
Je vois avec mes filles combien il est difficile de savoir doser avec beaucoup d'attention ce que l'on demande à un enfant : si c'est trop simple, il n'y trouve ni concentration, ni plaisir, si c'est trop compliqué, il se trouve mis en échec.
Dans notre société on se tient malheureusement pratiquement tout le temps dans les deux extrêmes. On croit aider les enfants en leur mâchant tout à l'avance, avec les gammes de petits pots jusqu'à trois ans et plus, les scratchs sur les chaussures jusqu'à l'âge "de raison" et plus, les lettres "bâtons", les ciseaux qui s'ouvrent tout seuls... Puis d'un coup on s'étonne qu'ils ne mangent ni légumes ni viande non hachée, qu'ils ne sachent pas faire leurs lacets, qu'ils écrivent si lentement et si malhabilement ou qu'ils ne parviennent pas à utiliser leurs ciseaux.


Pour en revenir à ce jeu, je le trouve juste à la bonne place, il est difficile de suivre avec un crayon qui accroche les lignes des dessins, puis des lettres; il est difficile de gommer l'ardoise avec une vraie gomme si on a fait une erreur, cependant on peut se corriger. Il n'est pas évident d'effacer tous les dessins sur la feuille transparente avant de glisser le dessin suivant...
Mes filles ont des ardoises blanches et un livre de calligraphie effaçable à sec, où d'un coup de chiffon on retrouve une surface nette, où l'erreur est occultée aussi vite qu'elle est venue, mais la marche entre cette ardoise et le cahier ou elles vont ensuite essayer de reproduire ce qui est si aisée sur le support lisse est si haute que c'est là que nait le découragement, là que se crée le blocage.
Donner à un enfant l'impression de maitriser ce qui demande temps et apprentissage par essais et erreurs, en lui donnant l'illusion de la facilité, est ce vraiment lui rendre service?

Concentration

Ce que j'aime par dessus tout, c'est regarder les si beaux moments de concentration où quelque chose de très grand habite mes filles. J'aime évidement les voir rire et courir, jouer et danser, mais là, il y a quelque chose de puissant, quelque chose qui se passe au dedans d'elles même...



Là, ma grande compte les perles d'une barrette de couleur, je crois que dans ces moments là, un avion pourrait passer le mur du son au dessus de sa tête qu'elle ne s'en rendrait pas compte...



Il lui arrive de compter et recompter ses perles presque sans fin, comme si elle s'imprégnait de chaque unité, ça n'a aucune logique au sens adulte du terme, elle "sait" combien de perles il y a, elle est imprégnée du code couleur, de la somme qu'elle égraine perle à perle. Il y a un "je ne sais quoi", qui la construit et qui dépasse le comptage des perles.

Ce sérieux avec lequel elle aborde ce matériel lui est tout à fait personnel, sa jeune sœur lorsqu'elle est dans la concentration, tout à son activité, elle aussi, chantonne, voire chante à tue tête parfois, et toujours jubile. Elle est souriante, enjouée, sans cesse dans le mouvement...



Comment puis-je dire qu'elle aussi est toute dans son activité, toute construction, toute concentration?
Et bien parce que, elle non plus, ne se laisse distraire ni par le bruit, ni par le mouvement alentour, ni par quoi que ce soit qui n'est pas dans ce geste là, cette tâche là qui l'absorbe toute entière.
Elle aussi fait et refait les mêmes gestes parce que ce sont la concentration, la répétition qui la construisent.



Elle n'apprend pas à cirer une table, elle n'est pas dans la manipulation pour la maitrise du geste, elle est dans la concentration, à la rencontre d'elle même...